Normaliser l’upcycling.

Une question reste en suspens : si l’upcycling est la solution à tout, pourquoi n’est-il pas encore utilisé à grande échelle ? Peut-être justement car ce changement d’échelle n’est pas si évident, dans les faits. 

Par l'équipe LOSANJE I 05.12.2022 I Lecture 3 min.

 
 

En amont : la question du sourcing et de la production

Une des premières problématiques du passage à grande échelle de l’upcycling est celle du sourcing, ou affournissement en français (entendu ici comme approvisionnement matière). Par définition l’upcycling se base sur une récupération de matière les marques et créateurs n’ont donc pas toujours accès à de grandes quantités de tissus similaires. Pourquoi ? Car par définition l’upcycling consiste à récupérer de la matière ou des pièces non neuves. Il ne s’agit pas d’acheter  du tissu neuf en quantité illimitée mais bien de faire avec les pièces trouvées ou les stocks disponibles restants. 

Une majorité de marques utilisant la technique de l’upcycling restent donc des labels de niche, basés sur le concept de la pièce unique, et en conséquence peu accessibles financièrement. 

Problème : La croissance d’une marque ne peut se faire que sur de la pièce unique, ET SURTOUT, changer vraiment le monde de la mode ne peut passer que par des changements de méthodes visant le grand public, (c’est ce qu’à bien compris LOSANJE).  La question de l’industrialisation de l’upcycling passe donc forcément par un changement de spectre : une production de pièces plus traditionnelles  (les pièces upcyclées ont souvent un style fort en raison de l’utilisation de tissus chaque fois différents) et en série, pour toucher une clientèle plus large. 

Pour Simon Peyronnaud, ce problème du sourcing n’en est pas un : « Chez Losanje, nous cherchons des sources de matières qui sont quasiment illimitées, je vais aller par exemple chercher dans des stocks de sweats, tous similaires, et je dois souvent me confronter à l’évidence : mes commandes ne sont pas suffisantes pour écouler tout le stock de sweats disponible». Il convient aussi de repenser nos échelles. Sur des marques produisant des quantités raisonnables de pièces, l’approvisionnement serait donc plus une question d’adaptation des filières qu’une problématique de quantités disponibles. « Le problème de l’affournissement pourrait se résoudre facilement avec un changement de direction des filières et une meilleure considération de l’upcycling ». Les grandes entreprises sont encore loin de bien comprendre l’existence même de l’upcycling : « le seul débouché envisagé aujourd’hui est le recyclage, alors que je pourrai leur racheter les tissus plus cher et les retravailler de manière vraiment circulaire ». Une partie importante du travail restant est donc un travail pédagogique et de communication autour de l’upcycling, pour que les grandes entreprises - entre autres pensent immédiatement à ce débouché comme une solution viable, facile et rapide pour revaloriser leur déchets. 

S’ajoute à cela les problématiques techniques déjà abordées dans nos articles. (Vous vous souvenez ? Sur le casse-tête du patronage et de la découpe) L’upcycling comme toutes les techniques nouvelles, nécessitent une adaptation de la chaine de production qui ne peut se faire que grâce à des discussions quotidiennes entre les marques, les designers et les usines de confection. C’est ce que fait Losanje au quotidien pour « industrialiser » son modèle d’upcyling.

 
 

En aval : l’importance de la pédagogie

Normaliser l’upcycling nécessite donc de lui offrir une meilleure visibilité. Car l’autre blocage auquel les marques se confrontent est celui de la maturité/compréhension du client. 

Si une partie des consommateurs est prête à s’ouvrir à de nouvelles manières de consommer, une autre reste très attachée à ses habitudes. « Il faut que les consommateurs comprennent que ce n’est pas grave de ne pas avoir une pièce flambant neuve si cela représente une vraie solution pour le climat ». Nombre de consommateurs sont encore très regardants quant à « l’effet neuf ». Les marques upcyclées doivent donc redoubler d’efforts en termes de communication et d’explications pour faire comprendre leur processus de production et changer les attentes esthétiques de leurs clients. En 2019, Marine Serre avait lancé dans ce but, une série de vidéos intitulée Regenerated, dans lesquelles elle détaillait son processus de production sur plusieurs pièces. Un nombre croissant de marques prennent aussi la parole à la manière de médias pour expliquer, détailler et éduquer leur communauté. « En réalité, les différences entre deux jeans noirs sont rarement discernables à l’oeil nu, il faut donc faire comprendre que l’aspect final ne change pas car le tissu n’est pas neuf ».  Pour produire en série, les marques upcyclées cherchent des tissus qui se ressemblent au maximum. Cela permet de réaliser des séries en « scalant » avec des pièces aux différences imperceptibles à l’oeil nu. Mais c’est au client d’adapter maintenant ses attentes quant au rendu des pièces finales !

La mauvaise compréhension des enjeux par les clients est aussi liée à la mauvaise compréhension des enjeux par les institutions mêmes de la mode. Retailers, pouvoir publics, assos.. tous ont encore du mal à bien comprendre en quoi supprimer l’étape de la création de matière est CRUCIALE pour limiter l’impact de la production textile. Dans tous les cas, ce n’est qu’en communiquant plus clairement et en tentant d’expliquer les process que les choses pourront vraiment changer à tous les niveaux.

 

En résumé.

L’upcycling pose effectivement des challenges. Mais tous sont loin d’être indépassables. Outre une vraie prise de conscience des enjeux écologiques par la société et un vrai changement des mentalités des consommateurs, les marques n’auront petit-à-petit plus le choix que de changer leurs pratiques (Fashion Pact, levée des voix etc etc..) Le travail de marques comme LOSANJE, Salut Beauté, Resap, et à l’échelle du luxe, de designers comme Marine Serre, Alphonse Maitrepierre ou Kevin Germanier transforme petit-à-petit les mentalités à différentes échelles de l’industrie. Une seule question reste en suspens : Pourquoi a-t-on déjà acheté autre chose que de l’upcyling ?

Etudes et articles

[1] https://la-mode-a-l-envers.loom.fr/du-charbon-dans-le-coton-pourquoi-la-mode-doit-reduire-sa-production/

[2]Chambre du Commerce et de l’Industrie

[3]TheGoodGoods 

[4]https://www.mckinsey.com/business-functions/sustainability/our-insights/sustainability-blog/refashioning-clothings-environmental-impact

[5]https://www.mckinsey.com/business-functions/sustainability/our-insights/style-thats-sustainable-a-new-fast-fashion-formula)

[6]https://quantis.com/wp-content/uploads/2018/03/measuringfashion_globalimpactstudy_full-report_quantis_cwf_2018a.pdf

[7]https://news.europeanflax.com/

[8]https://www.wedressfair.fr/matieres/polyester

[9]McKinsey et Global Fashion Agenda - Fashion On Climate

[10]https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2019/633143/EPRS_BRI(2019)633143_EN.pdf

[11]Plastic in textiles: towards a circular economy for synthetic textiles in Europe

[12]https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2019/633143/EPRS_BRI(2019)633143_EN.pdf

[13]https://quantis.com/wp-content/uploads/2018/03/measuringfashion_globalimpactstudy_full-report_quantis_cwf_2018a.pdf

[14]In.expeditions : Article réalisé sur PILI

Interviews :

Simon Peyronnaud, fondateur de LOSANJE.

Alphonse Maitrepierre, Tide Magazine 

Charlotte Daudré-Vignier - fondatrice de Carbone 14

Anicet Bijoux

Les Inrocks (travaux réalisés en amont)

(Kevin Germanier, à paraitre sur Say Who)

Livres :

Histoire des Modes et du vêtement, Denis Bruna, Chloé Demey

Penser la mode, Frédéric Godart, Editions IFM

 

Vidéos : 

Conférence Les Inrocks : Les militantes de la mode eco-réponsable

Marine Serre, Regenerated