L'upcycling : la clé d'une mode éco-responsable.

Réchauffement climatique. Emissions de gaz à effet de serre. Utilisation excessive d’eau. Ces dernières années, la mode n’a pas été épargnée par les critiques visant son modèle et ses dérives. Les levées de voix grandissantes quant à l’impact de l’industrie sur nos environnements ont eu pour conséquences de remettre aux coeurs de nos préoccupations les bonnes pratiques. L’industrie de la mode est, selon une étude réalisée par McKinsey et Global Fashion Agenda, coupable d’émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 2,1 milliards de tonnes en 2018, et le système de surproduction impulsé par des géants comme Inditex, ou de manière plus dramatique encore, par des pontes de l’ultra-fast-fashion comme le géant chinois Shein, entraine une urgence d’action grandissante.

Par l'équipe LOSANJE I 30.11.2022 I Lecture 8min.

 
 

Les origines de l'upcycling.

Face à cette course à la productivité effrénée, de nombreuses marques « slow », jeunes créateurs ou grands acteurs de l’industrie de la mode tentent de réfléchir à des manières de faire évoluer l’industrie et de la rendre ainsi, - plus - vertueuse. Et l’upcycling est une - voir LA - solution.  

Encore méconnue il y a quelques années, cette pratique dite circulaire s’est petit-à-petit imposée comme une référence pour les créateurs engagés dans la mode responsable. L’idée ? Revaloriser par le haut. Schématiquement, il s’agit, dans la mode, d’utiliser des textiles ayant vocation à être détruits, ou des pièces de seconde-main délaissées, pour en faire de nouvelles pièces, ainsi « revalorisées ».

Et si cette pratique apparait récente, elle existe de fait depuis toujours (rapellez-vous quand votre grand-mère mettait un patch sur un trou de pantalon ?). Officiellement et dans l’industrie,  elle a été pensée dès les années 1990 par un précurseur; une tête pensante de la mode : Martin Margiela qui construit déjà des pièces de niche à base de pièces qu’il désassemble et re-assemble d’une main de maître. A peine sorti des Beaux-Arts d’Anvers, le jeune créateur belge comprend rapidement l’enjeu double auquel feront face nos sociétés : surconsommation et surproduction. Mais la pratique aujourd’hui théorisée comme « upcycling » ne reste que très peu connue en France jusqu’à ce que la styliste Maroussia Rebecq en fasse la technique fondatrice de son label d’avant-garde Andrea Crews (il y a une quinzaine d’années). La jeune femme deviendra ainsi une des pionnières françaises de l’upcycling.

La clée d'une mode responsable.

L’upcycling est aujourd’hui une des pratiques les plus intéressantes à observer dans le design textile, car elle touche à deux problématiques majeures : elle limite la production de textile nouveau - et limite ainsi une grande partie de la consommation énergétique de l’industrie - et donne une solution circulaire à la fin de vie des vêtements.

Longtemps pourtant, cette pratique est restée à la marge, limitée à une création de niche et de pièces uniques. Pourquoi ? Car la pratique de l’upcycling pose de nombreux challenges, tant techniques que pratiques. Aujourd’hui, elle se démocratise enfin, doucement mais surement, grâce à une vraie volonté des acteurs de faire évoluer leurs pratiques, et de réfléchir aux modes de fonctionnement profonds de nos sociétés.

Alors qu’est ce que la pratique de l’upcycling et comment en comprendre les enjeux ?  Quelles sont les différentes pratiques d’upcycling et surtout, quels sont ses avantages environnementaux ? Mais il faut aussi comprendre quelles sont les difficultés auxquelles fait face cette pratique, et comment des marques comme LOSANJE tentent de trouver, au quotidien, des solutions pour la normaliser au sein de l’industrie.

 
 

Une pratique aux multiples facettes.

La Chambre du Commerce et de l’Industrie définit l’upcycling comme suit : « La récupération de matériaux dont on ne se sert plus pour créer des objets ou produits de qualité supérieure ». Si cette pratique existe depuis longtemps dans les pays en voie de développement, elle a été théorisée et perçue en occident comme une manière avant-garde de penser la création à partir il semble des années 1990.

Plus simplement, l’upcycling signifie en français « recyclage par le haut ». C’est donc une pratique qui consiste à offrir une seconde vie à des textiles ou des pièces déjà utilisées, dont la valeur a par conséquent, diminué. En utilisant cette matière disponible, l’upcycling permet de créer de nouvelles pièces et de redonner ainsi de la valeur à la matière première. En textile comme en design d’objets, les designers utilisent cette pratique pour éviter de faire appel à de la matière neuve. Il existe de nombreuses techniques utilisant ce principe de revalorisation : le réemploi de vêtements de seconde-main est la technique se rapprochant le plus de la définition littérale de l’upcycling. Mais il en existe bien d’autres, détaillées plus bas dans l’article !

L’upcycling, au sein de l’industrie de la mode est longtemps resté à la marge, ou dans les marges. Des designers alternatifs comme Olga Pham en ont fait un principe de vie, d'autres comme Marine Serre en ont fait le principe fondateur de leur travail. Mais la dernière décennie a marqué une véritable « démocratisation » de cette pratique face à l’urgence climatique,
avec des pratiques de plus en plus diverses que nous allons tenter de présenter ici dans un panel non exhaustif.

Le prêt-à-porter upcyclé, c'est LOSANJE.

L’upcycling tel qu’il est pratiqué chez LOSANJE consiste en l’application exacte de la définition ci-dessus. Il s’agit de récupérer des pièces ayant vocation à être détruites, des invendus, ou des pièces de seconde main rendues invendables par un défaut mineur, afin de les transformer en de nouvelles pièces. Ce processus de revalorisation nécessite parfois la remise en état des tissus, « quand nous récupérons des tonnes de vieux sweats, nous remettons le tissu en état pour lui donner une nouvelle jeunesse, en rasant le molleton par exemple » explique Simon Peyronnaud, fondateur de LOSANJE.

LOSANJE produit des pièces en série avec une vraie envie de travailler comme une marque classique (des pièces en série avec plusieurs tailles). « Chez LOSANJE, nous récupérons des tissus existants, les découpons et les ré-assemblons pour en faire de nouvelles pièces ». Il s’agit de n’utiliser aucune matière nouvelle et de n’appliquer aucun processus de revalorisation énergivore pour limiter au maximum l’impact de la production. En moyenne un vêtement conçu par LOSANJE émet seulement 800g de CO2 contre 18kg en moyenne dans l’industrie de la mode.

La récupération et la revalorisation de vêtements déjà existants nécessite aussi un grand savoir-faire en terme de patronage, comme l’explique Charlotte Daudré-Vignier, fondatrice de Carbone14_Upcycling : « les vêtements sont déjà coupés et assemblés, c’est pourquoi quand il faut faire preuve d’agilité au niveau des patrons pour pouvoir concevoir une pièce découpée entre les lignes de coupes des pièces existantes ». Cette forme d’upcycling permet de recréer de la valeur mais est parfois un vrai casse-tête technique. Il faut réussir à sortir des méthodes de production traditionnelles en engageant un vrai dialogue avec les équipes et les ateliers pour travailler avec des pièces rassemblées, et non avec du tissu neuf identique. Mais il s’agit aussi de la pratique la plus authentique d’upcycling !

Pour simplifier cet aspect technique, un nombre grandissant de marques et de designers se tournent vers d’autres objets et assemblages textiles plus grands et sans lignes de coupes. C’est le cas, par exemple, de Marine Serre qui concevait en 2019 une ligne de pulls over à base de serviette de bains. Alphonse Maitrepierre, jeune prodige de la mode parisienne et ancien élève de Jean Paul Gaultier a quant à lui réalisé il y a deux ans une collaboration avec le Relais, un service de collecte, de tri et de recyclage de textile. « Pour mon dernier défilé World in Progess, j’avais utilisé des vêtements avec des lignes de coupes, ce qui m’a poussé à morceler les patrons et à créer des looks avec empiècements. Cette fois-ci j’ai décidé d’utiliser des couvertures ou des draps ce qui simplifie grandement le procédé ». Cette utilisation de vieux draps, de couvertures ou d’autres textiles techniques provenant d’ailleurs que l’industrie vestimentaire semble entrer à 100% dans la définition « classique » de l’upcycling, puisqu’il s’agit toujours ici de revaloriser du textile et à lui donner une valeur in fine supérieure. D’autres pratiques similaires existent aussi dans le bijou avec un travail de sourcing de pièces anciennes, souvent déconstruites, policées et reconstruites avec d’autres. C’est le cas de la marque parisienne Anicet par exemple.

 

L’upcycling au sens large.

D’autres pratiques peuvent aussi s’apparenter à l’upcyling, sans pour autant tomber dans sa définition première.

Ici on ne touche pas à la pièce mais on l’améliore en lui ajoutant une nouvelle poche ou un nouveau motif.

La découpe est une étape importante de la confection du vêtement puisqu’il s’agit de découper les patrons dans la matière. Problème : en moyenne 20 à 30% de la matière est perdue à cette étape de la production. Des stylistes ont donc eu l’idée de récupérer ces chutes, de les recoudre ou de les thermocoller pour créer de la matière nouvelle, suffisante pour produire de nouvelles pièces.

Aussi appelés stocks dormants  il s’agit de rouleaux de tissus neufs non utilisés. Ceux-ci peuvent avoir deux provenances :

I Les stocks dormants chez les founisseurs de tissus qui n'ont pas réussi à les vendre.

I Des tissus commandés par les marques mais non utilisés. Pourquoi ? Les fournisseurs imposent encore souvent des minimum de tissus à acheter pour estimer une vente rentable ce qui oblige les marques à acheter parfois plus que nécessaire.

Face à ces stocks dormants, marques et fournisseurs ont encore du mal à trouver des solutions. C’est là que l’upcycling est intéressant, car il permet d’écouler les pertes de vêtements ou de matières encore viables !

 

Une remarque est nécessaire ici : ces pratiques sont aujourd’hui grossièrement réunies sous le nom d’upcycling, mais nous avons vu que le mot UP-CYCLING contenait l’idée de revalorisation. Hors les tissus de fournisseurs sont déjà de bonne qualité, et sont simplement utilisés plutôt qu’abandonner. Il serait peut être bon de trouver de nouveaux mots pour définir plus précisément toutes ces pratiques, non ?

En résumé.

Ces pratiques diverses sont de véritables solutions contre le gaspillage. Elles montrent que les quantités de tissus disponibles sur terre sont conséquentes et suffisantes pour repenser nos manières de produire et de créer. Une étude menée par Ellen Macarthur Foundation, montre que seulement 1% des vêtements produits sur terre est transformé en nouveaux vêtements, cette part pourrait être tellement plus importante si la pratique de l’upcycling se démocratisait enfin !

Etudes et articles

[1] https://la-mode-a-l-envers.loom.fr/du-charbon-dans-le-coton-pourquoi-la-mode-doit-reduire-sa-production/

[2]Chambre du Commerce et de l’Industrie

[3]TheGoodGoods 

[4]https://www.mckinsey.com/business-functions/sustainability/our-insights/sustainability-blog/refashioning-clothings-environmental-impact

[5]https://www.mckinsey.com/business-functions/sustainability/our-insights/style-thats-sustainable-a-new-fast-fashion-formula)

[6]https://quantis.com/wp-content/uploads/2018/03/measuringfashion_globalimpactstudy_full-report_quantis_cwf_2018a.pdf

[7]https://news.europeanflax.com/

[8]https://www.wedressfair.fr/matieres/polyester

[9]McKinsey et Global Fashion Agenda - Fashion On Climate

[10]https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2019/633143/EPRS_BRI(2019)633143_EN.pdf

[11]Plastic in textiles: towards a circular economy for synthetic textiles in Europe

[12]https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2019/633143/EPRS_BRI(2019)633143_EN.pdf

[13]https://quantis.com/wp-content/uploads/2018/03/measuringfashion_globalimpactstudy_full-report_quantis_cwf_2018a.pdf

[14]In.expeditions : Article réalisé sur PILI

Interviews :

Simon Peyronnaud, fondateur de LOSANJE.

Alphonse Maitrepierre, Tide Magazine

Charlotte Daudré-Vignier - fondatrice de Carbone 14

Anicet Bijoux

Les Inrocks (travaux réalisés en amont)

(Kevin Germanier, à paraitre sur Say Who)

Livres :

Histoire des Modes et du vêtement, Denis Bruna, Chloé Demey

Penser la mode, Frédéric Godart, Editions IFM

 

Vidéos :

Conférence les Inrocks : Les militantes de la mode eco-réponsable

Marine Serre, Regenerated