Pourquoi l'upcycling est-il bon pour la santé des travailleur.euse.s ?

Si l’upcycling est bénéfique pour la santé des consommateur·trice·s, il l’est également pour celle des travailleur·euse·s et des populations des pays fournisseurs. Grâce à la revalorisation de textiles existants, l’upcycling sauve des étoffes de la destruction et crée des vêtements sans relancer l’intégralité des étapes de fabrication (culture, filature, tissage, …). Ces procédés, consommateurs de grandes quantités d’eau, de produits chimiques, d’énergie, ne sont pas sans effet sur la qualité de l’eau, des sols et de l’air. 

Par l'équipe LOSANJE I 06.10.2022 I Lecture 8min.

Réduire l’exposition des travailleur·euse·s aux substances chimiques.

Comme nous l’avons vu, l'industrie textile (et donc, les travailleur·euse·s au sein de cette industrie) a recours à une quantité énorme de substances chimiques. L’une des étapes les plus consommatrices est la teinture, étant principalement réalisée avec des colorants synthétiques. Le secteur en consomme environ 10 000 tonnes chaque année [1].

 

I 70% de teintures sont effectuées à partir de colorants synthétiques azoïques dérivés de benzidine. Entre 60 et 70% de ces colorants azoïques sont toxiques, cancérigènes et résistent aux techniques standards de traitement des eaux [1]. La benzidine, présente dans les colorants azoïques peut provoquer le cancer de la vessie [2].

I Au cours du traitement des eaux usées, il est fréquent qu’une réaction entre du chlore et des composés organiques soit réalisée afin d’éliminer le micro-organismes nuisibles. Sur le long-terme, ce procédé peut provoquer un cancer de la vessie, un cancer du côlon ou un cancer colorectal [1].

Les éthoxylates de nonylphénol (NPE), utilisés comme tensioactifs pour nettoyer, rincer, teindre les textiles, sont reconnus comme des perturbateurs endocriniens. Ces produits peuvent engendrer un déséquilibre hormonal chez les êtres humains.

Pour fixer les teintures, imperméabiliser ou encore éviter les plis sur les étoffes, les teinturiers apprêteurs utilisent le formaldéhyde. Une exposition régulière à ce composé organique volatile (COV), favorise des irritations des voies respiratoires et oculaires [3] et peut causer un cancer du nasopharynx, un cancer naso-sinusien ou une leucémie [4].

 
 

Par conséquent, l’utilisation de ces substances chimiques met en péril la santé des travailleur·euse·s qui y sont exposé.e.s

Eau rage, eau désespoir.

L’industrie textile est la troisième plus importante consommatrice d’eau dans le monde [5]. Un simple T-shirt en coton requiert à 2,70 litres d’eau douce, soit la quantité d’eau nécessaire pour une personne en deux ans et demi.

De nombreuses usines évacuent de grandes quantités d’eaux usées contenant des produits chimiques dans les milieux aquatiques. À elle seule, elle est responsable d’environ 20% de la pollution mondiale de l’eau à cause des teintures et autres produits de finition [6]. Un phénomène qui n'est pas sans conséquence puisque 25 % de la population mondiale souffre de pénuries d'eau. 

De manière plus ou moins indirecte, la consommation et la pollution de l’eau nécessaire à l’industrie textile impactent la santé des populations :

I Irriguer les terres agricoles à partir d’eaux contaminées détériore la qualité des sols et réduit le taux de germination des cultures [7].

I Des analyses de fruits et légumes cultivés à proximité des industries textiles révèlent la présence de colorants textiles susceptibles d’affecter la santé des personnes qui les ingèrent [8]. Consommer de poissons retenant des colorants azoïques peut entraîner des crampes, de la fièvre et de l’hypertension.

I Certaines substances chimiques présentes dans les eaux usées peuvent provoquer des allergies, des dermatites, des irritations cutanées, des tumeurs malignes et des mutations.

Les eaux contaminées continuent d’être déversées d’une part parce que les coûts relatifs aux traitements des eaux usées sont onéreux, et d’autre part parce qu’il n’y a aucune réglementation concernant leurs rejets.

Face à ce constat, il est possible de s’engager et de lutter à son échelle. Réparer, donner, recycler, upcycler les vêtements sont des manières d’agir aussi bien en tant que marque de mode qu’en tant que consommateur·trice·s.

 

Moins de microplastiques dans l’eau… et dans notre corps.

Les substances chimiques ne sont pas l’unique source de pollution des eaux dans l’industrie du textile. Entre 16 et 35% des microplastiques présents dans les océans sont issus des textiles synthétiques [9]. Un problème majeur puisque les fibres synthétiques représentent environ 70% de la production de fibres textiles dans le monde [10].

Les microparticules se propagent notamment tout au long de la fabrication, de l’usage, de la décomposition de l’étoffe synthétique. Elles se dispersent dans l'eau, dans l'air, dans les sols.

La présence de microfibres a été confirmée notamment dans la nourriture, notamment dans les fruits de mer [12], dans l'eau potable [13], le sel et le sucre [14], dans l'air [15] et également dans les corps humains.

Ces microparticules pourraient être des vecteurs de propagation d'agents pathogènes et de microbes. Des niveaux élevés d'exposition aux microplastiques peuvent entraîner des réactions inflammatoires et une toxicité [9]. Au-delà de la libération des microplastiques en elle-même, la diffusion des produits chimiques toxiques qu'elles contiennent soulève des inquiétudes. Créer des vêtements upcyclés à partir d’étoffes existantes permet d’éliminer des étapes de fabrication émettrices de microparticules et d’éviter les premiers lavages du vêtement neuf au cours desquels il libère la plus grande quantité de microfibres [10]. Un argument non négligeable lorsque l’on sait que pour une charge de lavage moyenne de 6 kg, les produits en acrylique ont libéré plus de 700 000 fibres par lavage, et les produits en polyester, près de 500 000 fibres. [9] 

 
 

Diminuer les émissions liées à la fin de vie des matières et des vêtements.

En moyenne, l’empreinte annuelle des vêtements neufs et existants d’un ménage équivaut à la quantité d’eau nécessaire pour remplir plus de 1 000 baignoires et les émissions de carbone résultant de la conduite d'une voiture moderne sur 6 000 miles soit environ 9 656 kilomètres. [16] Chaque année, les Européens consomment près de 26 kg de textiles et en jettent près de 11 kg. Moins de 1% sont recyclés en tant que vêtements [17]. En revalorisant ces matières, l’upcycling prolonge leur durée de vie avec une consommation d’énergie moindre. Par exemple, la réutilisation d’une tonne de vêtements en polyester et d’une tonne de vêtements en coton requiert seulement 1,8% et 2,6% de l’énergie nécessaire à la production de polyester vierge et du coton [18]. 

Dans le monde, 87% des textiles jetés sont mis en décharge. Pourtant, plus de 90% sont réutilisables ou recyclables [19]. Les décharges détériorent la biodiversité, la qualité de l’eau, de l’air et menacent la santé des populations locales. Tout au long de leur décomposition, les textiles produisent des lixiviats aussi appelés “jus de décharge” qui contaminent les eaux. Elles émettent des polluants atmosphériques et des gaz à effets de serre (GES) qui participent grandement au réchauffement climatique.

L’industrie du textile est responsable de 2,1 milliards de tonnes de GES en 2018, soit 4% du total mondial et l’équivalent de la quantité de GES émis par l’ensemble des économies de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni [20]. Afin de limiter le réchauffement climatique à 1.5°C, les émissions de gaz à effet de serre ne doivent pas dépasser 1,1 milliard de tonnes  CO2eq d’ici 2030. En réduisant l’utilisation de la machine à laver et du sèche-linge et en favorisant la réparation, la location, la revente, l’upcycling, le recyclage de
vêtements, il serait possible de réduire d’environ 347 millions de tonnes les émissions de GES en 2030. [20] 

En augmentant la durée de vie moyenne d’un vêtement de 3 mois, son empreinte environnementale relative au carbone, à l’eau et aux déchets pourrait être réduite de 5 à 10% [16].

En suivant une démarche circulaire, il est donc possible de redessiner le
paysage de l’industrie textile et de s’opposer à l’économie linéaire qui
consiste à extraire, produire, consommer et jeter.

 
 

En résumé.

Prolonger la durée de vie d’un vêtement est une manière de diminuer à son échelle la production de vêtements et ainsi la consommation d’eau, de substances chimiques et d’énergie relatives aux étapes de fabrication. De nombreux modèles alternatifs permettent de réduire la menace qui pèse sur l’environnement et la santé des populations, qu’elles soient agricoles, travailleuses ou consommatrices.

L'upcycling en est un. Les vêtements upcyclés faits à partir d’étoffes maintes fois lavées sont débarrassés de certains produits potentiellement toxiques et requièrent peu d’énergie, d’eau, de produit en comparaison à une production traditionnelle. Fait à partir de draps anciens, de chemises vintage, de bâches industrielles ou encore de stocks dormants, ils sont le résultat d’une prouesse qui allie créativité et quantité limitée. 

[1] A critical review on the treatment of dye-containing wastewater : Ecoltoxicological and health concerns of textile dyes and possible remediation approaches for environmental safety, février 2022

[2] Acute toxicity of textile dye wastewaters (untreated and treated) of Sanganer on male reproductive systems of albino rats and mice

[3] Formaldéhyde, vers la recherche d’alternatives

[4] Early-life exposure to formaldehyde through clothing, 2022

[5] La mode sans dessus-dessous, ADEME

[6] Incidences de la production et des déchets textiles sur l’environnement

[7] A critical review on the treatment of dye-containing wastewater :  Ecoltoxicological and health concerns of textile dyes and possible remediation approaches for environmental safety, février 2022

[8] An overview of toxic chemicals in textiles, 2021

[9] Microplastics from textiles: towards a circular economy for textiles in Europe, 2022

[10] Does Use Matter? Comparison of Environmental Impacts of Clothing Based on Fiber Type

[11] The impact of textile production and waste on the environment]

[12] Anthropogenic debris in seafood: plastic debris and
fibers from textiles in fish and bivalves sold for human consumption, 2015

[13] Synthetic polymer contamination in bottled water, 2018

[14] A critical perspective on early communications concerning human health aspects of microplastics, 2018

[15] A first overview of textile fibers, including microplastics, in indoor and outdoor environments, 2017

[16]Valuing our clothes, Waste and Resources action plan

[17] Incidences de la production et des déchets textiles sur l’environnement

[18] Life cycle assessment for reuse/recycling of donated waste textiles compared to use of virgin material : An UK energy saving perspective

[19] Environmental impact of discarded apparel landfilling and recycling

[20] Fashion on climate: How the fashion industry can urgently act to reduce its greenhouse-gas emissions

[21] Valuing our clothes, WRAP